Mais pourquoi je me repasse sans cesse le même film dans ma tête !?!

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“Nous passons une grande partie de notre existence à vivre dans le passé … Nous nous repassons des vieilles histoires en espérant qu’à force de les revoir, elles s’effaceront. Notre cerveau imagine qu’à force de ressasser les mêmes séquences, la fin changera !” [1]

Selon Pierre Janet : “Les patients traumatisés continuent l’action, ou plutôt la tentative d’action, qui avait commencé quand la chose était arrivée, et ils s’épuisent dans ces perpétuels recommencements”[2]

Belle intention de vouloir sans cesse réécrire le scénario de nos mésaventures en espérant en changer l’issue ! Malheureusement la réalité est que rien ne change … ou pas.

Je m’explique :

Ceci pourrait paraître idiot et dénué de sens de la part de notre cerveau de vouloir sans cesse réactiver le même souvenir désagréable ou traumatisant. Mais la sagesse de ce processus, a priori infructueux, pourrait être comprise par la neuro-plasticité du cerveau.

A première vue, et sans compter avec le génie et la profonde complexité de notre cerveau, les tentatives de reviviscence de nos souvenirs ne servent à rien. Sauf que les neuro-scientifiques ont découvert que cette réactivation des souvenirs est essentielle  à leur transformation. Lorsqu’on réactive un souvenir en le rappelant, ses traces dans le réseau neuronal qui l’a enregistré redeviennent mobiles et peuvent se réorganiser. Cette mobilité des traces mnésiques ( de la mémoire) est une chose essentielle pour nous libérer des symptômes traumatiques. Cela pourrait expliquer les flash-back et les phénomènes de reviviscence du trauma où le cerveau chercherait à “dé-bugger” un réseau de neurones dont l’activation ne débouche pas sur une résolution satisfaisante. [3]

En d’autres termes : pas d’activation des souvenirs, pas de guérison ! Alors heureusement que notre cerveau nous permet de repasser le film.

Notre cerveau nous offre donc autant de chances de transformer nos souvenirs que de fois où il nous repasse le film du souvenir en question. Comme le contenu d’un DVD qu’on ne pourrait effacer ou modifier que si on le passait dans un lecteur DVD pour le visionner. Mais le constat pour nos souvenirs est que rien ne change  si rien n’est fait pendant ce visionnage.

Alors qu’est ce qui peut être fait ?

Selon Bruce Ecker [4], un souvenir est labile, c’est à dire qu’il peut être transformé ; on parle alors de reconsolidation des mémoires.
Ceci est possible si les 3 conditions suivantes sont réunies :

1)- Le souvenir doit être mentalement activé. On repense au souvenir tout en restant dans une fenêtre de tolérance. Ni dissocié ni trop activé. Ceci correspond à un état d’activation du système parasympathique ventrale.

2)- Il faut vivre une expérience contradictoire ou correctrice. C’est-à-dire que la nouvelle expérience doit être différente quant au résultat attendu. Pour un même déclencheur la conclusion doit être différente.

3)- L’expérience contradictoire doit être répétée un certain nombre de fois.

Ceci débloque les synapses qui maintiennent le vieux souvenir et la voie neuronale est dépotentialisée.

Des recherches ont montré qu’il y a une fenêtre d’action qui a été estimée à quelques heures à partir du moment où le souvenir est réactivé, où il peut y avoir traitement du souvenir et réorganisation du réseau neuronal. De plus, le souvenir ne peut être traité que si l’on réactive ses traces dans tous ses aspects : verbaux, cognitifs, émotionnels et corporels. Enfin, pour obtenir l’intégration de la guérison, il faut répéter cette nouvelle expérience avec tous ces aspects plusieurs fois.

Les souvenirs traumatiques peuvent être alors transformés soit de manière spontanée pour certaines personnes soit par le biais de la thérapie.

Parfois les circonstances ordinaires de la vie peuvent d’une manière ou d’une autre éliminer le problème et les symptômes associés. Mais pour les personnes ayant subi de graves modifications physiologiques au niveau du cerveau, une aide thérapeutique est nécessaire. Par exemple des méthodes basées sur le modèle du “traitement adaptatif de l’information” comme l’EMDR [2], la TFT ou l’EFT s’avèrent très efficaces.

Dans ce domaine il est intéressant de se pencher sur le comportement des enfants face à un évènement traumatique ou à une catastrophe. La majorité des adultes souffrent d’engourdissement psychique et ont tendance à enfouir le souvenir et les émotions liés à une catastrophe qui peuvent d’ailleurs refaire surface à tout moment et de manière très dommageable. Les enfants quant à eux font face autrement à la situation. Ils recourent au jeu, au fantasme et au rêve éveillé pour se remémorer l’épreuve subie. Ces répétitions de l’événement permettent d’éviter le refoulement des souvenirs douloureux et la guérison émotionnelle peut se produire spontanément. Si le traumatisme n’est pas profond, comme une visite chez le dentiste, il suffit de revivre deux ou trois fois l’évènement pour que les symptômes se résorbent. Si le traumatisme est plus grave, l’enfant doit le répéter encore et encore comme dans un rituel sinistre et monotone.[5]

Lenore Terr [6], une psychiatre de San Francisco, a été la première à observer ces jeux macabres. Elle a étudié le phénomène chez des enfants qui ont été kidnappés dans leur bus scolaire en 1973. Cinq ans plus tard, les victimes continuaient à jouer à kidnapper symboliquement leur poupée.

Le comportement de ces enfants, intuitif et naturel, nous montre à quel point il est important de ne pas refouler un traumatisme et la nécessité de le traiter dans un environnement sécurisé. Aujourd’hui, des méthodes thérapeutiques existent et nous permettent de le faire. Car le fait de repasser le film pour aider le cerveau à l’intégrer et en tirer leçon est utile. Par contre repasser le film sans cesse et sans pouvoir rien y faire, ne sert à rien !

En attendant, Serge Marquis, l’auteur de la citation de départ, nous propose une méthode immédiate et efficace pour se détacher du passé et de ces projections de films incessantes, douloureuses et inutiles : s’ancrer dans le présent.

“Sortez maintenant du cinéma (votre imaginaire). Vous êtes toujours dans cet espace calme que vous avez choisi au départ. Humez les parfums environnants à pleine narines. Sentez le contact de vos pieds avec le sol. Ecoutez le chant des oiseaux ! Regardez les enfants qui jouent. Placez toute votre attention dans leurs gestes, leurs rires, leur innocence. TOUTE VOTRE ATTENTION ! Ne vous laissez pas déconcentrer. Sentez la vie qui circule en vous.”

 

 

 

[1] Dr Serge Marquis, Spécialiste de la santé mentale au travail, On est foutu on pense trop ! Comment se libérer de Pensouillard le hamster, Edition de La Marinière, 2011.

[2]  Janet P., La médecine psychologique, Paris, L’Harmattan, réédition 2005.

[3] Dr Emmanuel Contamin, Guérir de son passé avec l’EMDR et des outils d’auto-soin, Odile Jacob, 2017.

[4] Bruce Ecker, Robin Ticic, Laurel Hulley, Unlocking the Emotional Brain, Eliminating Symptoms at Their Root Using Memory Reconsolidation, Broché,2012.

[5] Daniel Goleman, (1995). L’intelligence émotionnelle, Tome 1.

[6] Leonore Terr, Too Scared to Cry, Haper et Collins, New York, 1990.

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